On a popularisé un Borges « écrivain fantastique » ; on a commenté ses thèmes d’élection, la Bibliothèque, les labyrinthes, la circularité du Temps, les jeux de miroirs. Or plus je le lisais, plus il me semblait que le dilettante Borges, apparemment si indifférent au réalisme, si réfractaire à toute idée d’« engagement » de l’écrivain, parlait bel et bien de nous et de notre siècle. C’est la conviction que j’ai voulu faire partager : sans jamais poser à l’intellectuel et au maître à penser, Borges oppose aux croyances variées de son temps — marxisme, freudisme, rationalisme, scientisme — une persistante révocation en doute. En envisageant les hypothèses métaphysiques les plus étranges, en nous promenant dans l’histoire des religions et des hérésies, des révélations et des inquisitions, il nous renvoie à nos superstitions, à nos pseudo-certitudes, à nos intolérances. Il nous incite avec humour au réexamen de nos convictions les plus ancrées. C’est un sceptique ; un contestataire, en somme. Nous avons plus que jamais besoin de lui. F.T.