« Les dimanches, nous allions à Saint-Victorin ». Ainsi commence le livre où la narratrice évoque les années de son adolescence. Dès la première phrase, nous rejoignons un monde ancien, celui de la province des années trente, où les « gens bien » respectent les principes, vont à la messe et tricotent pour les pauvres entre deux parties de croquet. À Saint-Victorin, il y a la maison de tante Adelina qui règne sur son époux et ses cinq enfants avec l’autorité de la bonne conscience, la rigueur et l’aveuglement de la vertu. Seule Rose, la fille cadette, échappe à l’ordre moral de la famille. Grâce à la complicité de son jeune frère Noël, qui lui voue une passion inquiète, elle mène une existence clandestine, donne de mystérieux rendez-vous dont le résultat ne se fera pas attendre. Rose est enceinte. On tente d’étouffer le scandale, on recueille la « pécheresse » et tante Adelina élèvera l’enfant. Mais ce sera pour elle le début d’une longue série d’épreuves qui la conduiront peu à peu au détachement et à la solitude. Fidèle à sa manière impressionniste, Suzanne Prou procède dans son récit par petites touches successives qui juxtaposent les scènes, laissant à chaque personnage sa part d’ombre et de lumière. À travers les souvenirs de la narratrice et le témoignage de Noël, qui a tenu le journal de son amour malheureux pour Rose, nous voyons resurgir les images du passé, se recomposer la belle figure de tante Adelina et nous nous laissons envoûter par le charme « discret » de ces « dimanches » bourgeois, pleins de bonnes manières et de sentiments coupables, de violence secrète et d’amour défendu.