La culture et l’Histoire espagnoles sont fortement marquées par le desvivirse. Cette notion difficile à traduire – une sorte d’intensité dévorante aux prises avec la réalité – est pourtant cruciale pour comprendre notre pays voisin, à la fois proche et lointain. Afin de nous faciliter le chemin, Verena von der Heyden-Rynsch nous offre ici une plongée dans la culture ibérique. Son récit est organisé autour de trois axes : la cohabitation des trois grandes religions au Moyen Âge, l’influence de la pensée d’Érasme, et enfin, ladite philosophie du desvivirse du moraliste Gracian. À partir de quelques données historiques clefs, esquissées avec concision et clarté, l’auteur parvient à brosser un portrait très vivant de l’Espagne comme s’il s’agissait d’une personne morale et non d’un pays. En décrivant le chemin parcouru entre le IXe siècle où le pays incarnait la tolérance interreligieuse en Europe, et l’obsession du «sang pur» du XVIe siècle, elle décèle une faille qui se renforcera encore par l’obscurantisme de la contre-réforme, malgré l’influence incontestable de la pensée érasmienne. L’auteur parvient ainsi à dessiner un large arc de cercle dans l’histoire culturelle espagnole – en puisant son argumentation aussi bien dans la peinture, la philosophie, la littérature que dans l’histoire politique. Son essai lumineux touchera non seulement les lecteurs curieux de la culture espagnole, mais aussi tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées en Europe ou qui s’interrogent sur la question de la tolérance religieuse.