Le mythe de Dollard des Ormeaux brouille depuis longtemps la mémoire des relations entre les Autochtones et les Allochtones. La légende est simple en apparence : en mai 1660, dix-sept Français commandés par Dollard des Ormeaux auraient entraîné quarante Wendats et quatre Anichinabés dans une expédition sur la rivière des Outaouais pour piéger les Haudénosaunés, leurs ennemis; les alliés se seraient heurtés à une grande armée et auraient été massacrés grâce à la trahison de plusieurs Wendats; les envahisseurs s’étant repliés, les Français auraient sauvé leur pays d’un coup mortel.L’événement tombe dans l’oubli jusqu’à son rappel au XIXe siècle par les historiens francophones, puis anglophones. Culminant dans les années 1910-1920, la célébration de Dollard se matérialise dans des monuments, des écrits, des œuvres d’art et des célébrations. La diffusion de ces récits dans la littérature, l’art et les rituels publics constituaient le dispositif commémoratif global qui a généralisé le mythe identitaire centré sur le personnage de Dollard. Parallèlement, les alliés autochtones ont été de plus en plus exclus de ces récits.Alors qu’aujourd’hui, on conteste les vestiges de la célébration de Dollard au nom de la réconciliation avec les Autochtones, une relecture détaillée de la bataille, des motivations de ses acteurs et de sa mémoire s’impose à l’aide de nouvelles clés de lecture. Le déboulonnage de quelques monuments historiques a de plus servi à tourner l’attention du public vers des injustices criantes ; celui de Dollard des Ormeaux, à Montréal, est justement en examen. Du point de vue des sciences historiques et patrimoniales, comment aborde-t-on cet iconoclasme contemporain, et quelles propositions peut-on formuler à son sujet ?Comme tout objet d’histoire, le mythe de Dollard reste donc actuel dans son inactualité. C’est pourquoi il est indispensable de revoir l’événement grâce à une critique plus poussée des sources – lesquelles ont notamment reproduit textuellement la parole, l’expérience et la culture des Wendats chrétiens réfugiés à Québec – et de réévaluer l’évolution du mythe du XIXe au XXIe siècle.