Louis Simon, étaminier du Maine, né en 1741 et mort en 1820 a écrit des souvenirs. La moitié des pages consacrées à sa vie raconte son histoire d'amour. À partir de ce document unique (c'est en effet le seul témoignage qui nous soit parvenu en provenance du monde villageois), Anne Fillon a tenté de reconstituer la vie affective des jeunes gens de cette époque.Fouillant les archives, elle a retrouvé les mécanismes de mariage, l'attitude des parents, la part prise par les habitants à la formation du couple, le rôle joué par les filles elles-mêmes dans les sommations respectueuses faites aux parents récalcitrants, et dans les ruptures. Elle a reconstitué le rituel de la fréquentation, de l'engagement et des noces, en observant qu'il évoluait sensiblement au cours du siècle. Elle a suivi l'augmentation des naissances "prématurées", et des enfants illégitimes. Les archives judiciaires lui ont révélé un formidable changement - dans le comportement masculin et dans le comportement féminin - en face des problèmes de la sexualité.Le livre fait revivre tout le petit monde villageois : Louis Simon, Nannon Chapeau et l'abbesse cloîtrée du couvent, qui suit de près les affaires de cœur ; Catherine Froger, la fille de l'irascible maître de poste, qui quitte le foyer paternel pour épouser un compagnon maréchal sans le sou ; Françoise Lefebure, fille du gros marchand fermier du château de Courcelles, qui se bat pour épouser un petit notaire désargenté ; Françoise Drouet, la jeune couturière, qui s'est laissée séduire par un compagnon parisien tailleur de pierres ; Louise Rabouan, servante, qui évoque la passion trop vive née entre elle et le valet de la ferme ; Perrine Turquais, la veuve du meunier de Floué, qui se ruine avec son garçon fannier ; les juges de 1795, qui n'arrivent pas à croire que les lois parisiennes ne défendent plus les filles séduites.Les chansons ressuscitent : tendres, respectueuses, gaillardes, lestes, à double sens ou franchement paillardes. Elles chantent l'amour-mariage, puis l'amour-amour, enfin l'amour défendu. Elles bousculent les traditions paysannes. On voit naître, dans le vent de la distinction, le savoir-vivre du nouveau mariage ; puis, dans le vent de la liberté, dix ans avant la Révolution, une nouvelle vision de l'amour et de la femme. Les valeurs du XIXe siècle sont déjà là.Jamais on n'avait été aussi loin dans l'exploration de la vie affective du peuple des campagnes. Bien que le moindre fait soit absolument authentique, et qu'il s'agisse d'Histoire, on suit les personnages comme ceux d'un roman – le plus révélateur et le plus nouveau sur la période qui précède 1789.