« El público » et « Así que pasen cinco años » sont les deux pièces jumelles du séjour new-yorkais et cubain (juin 1929-juin 1930). Revues par Lorca après son retour en Espagne, leur achèvement est entériné sur chaque manuscrit par une date qui semble jouer aussi avec le double. La deuxième est étrangement prémonitoire : 22 août 1930 (El público) et 19 août 1931 (Así que pasen cinco años). Malgré cet intervalle d’un an tout porte à croire que l’élaboration des pièces américaines a été simultanée. L’impression contradictoire que « El Publico » est la première née du cycle et que « Así que pasen cinco años » est une étape lyrico-dramatique intermédiaire qui prépare l’arrivée de la plus impossible des deux pièces peut s’interpréter comme un effet d’étrangeté supplémentaire en rapport avec le troublant climat de ce Théâtre américain de Lorca. Tous les échos que la critique a remarqués entre les poèmes d’Arlequin et de Juliette au tombeau, le Nu Rouge et l’Enfant Mort, entre les deux Valets, entre les deux structures circulaires, entre la mort finale du Directeur et du Jeune Homme, entre le Prestidigitateur et les Joueurs, entre l’un et l’autre espace mental rompant les conventions du Théâtre de caractères et d’argument, donnent la sensation d’un continuum spatio-temporel où les idées et les passions incarnées par les Figures des deux pièces ne cessent de se retrouver avec des variantes et d’imperceptibles déplacements. Au milieu de tant d’échos, de symétries et de ressemblances « El público » nous impose pourtant l’image d’un état paroxystique de « Así que pasen cinco años ». C’est pourquoi les analyses de ces deux pièces, à la fois si semblables et si différentes (l’une plus âpre, plus agressive et excessive, l’autre plus lyrique et mélancolique), se complètent et s’aident, entrant elles aussi en travail d’échos, résonances et modulations afin de mieux saisir ce qu’il y a, dans ce Théâtre impossible de Lorca, de nouveauté et de constance. D’un certain point de vue la distinction suggérée par l’auteur lui-même entre Théâtre impossible et Théâtre possible ne vaut que pour le choix des formes et du langage théâtral. Du Castelet et de Guignol aux « maisons » multiples de l’auto sacramental, Lorca ne cesse d’explorer, de déchiffrer, de redire ses angoisses essentielles. De nous obliger aussi à nous reconnaître dans les miroirs de l’inavouable, ou tout du moins à nous montrer dignes d’être ce public qu’il a recherché toute sa vie.