Dernière pièce de la première tétralogie, inspirée par les grandes Chroniques de l’histoire d’Angleterre, Richard III met en scène la patiente ascension et la chute vertigineuse de Richard de Gloucester. Dans la lignée des miroirs médiévaux à l’usage de l’éducation des princes dont, à la Renaissance, le Mirror for Magistrates (1559-1563) fut l’un des exemples les plus parfaits et l’une des sources de la pièce, Richard III épouse la forme conventionnelle d’une tragédie De Casibus fondée sur le mouvement de la roue de la Fortune, la rétribution des bons et la punition des méchants. Articulée sur un temps providentiel qui rend illégitimes les agissements de Richard, elle assure le triomphe final du Bien, symbolisé par le mariage de Richmond et d’Elizabeth d’York qui met un terme aux guerres civiles. Richard III pourrait donc facilement se lire comme apologie du mythe Tudor. Mais cela serait sans tenir compte des subtilités d’une structure fondée sur la contiguïté des contraires. Le temps de la Providence est comme parasité par les jeux du hasard et la construction des personnages selon le principe de la catoptrique brouille les pistes, diffracte le sens et interdit une lecture univoque pour poser des problèmes sur la nature intrinsèque du pouvoir et les motivations des actions humaines. Richard III agrège ainsi à la pensée politique élisabéthaine encore fortement imbriquée dans la métaphysique et la cosmologie chrétienne les enseignements plus corrosifs de Machiavel pour montrer que les hommes agissent par intérêt plus que par idéal. Leur arme est moins la force que le langage. Richard et Richmond utilisent tous les artifices du langage poétique, définis dans les traités de rhétorique de la Renaissance comme moyens de plaire et d’instruire, à la seule fin de séduire et d’asseoir leur pouvoir. Mais la dialectique du vrai et du faux sur lequel ils reposent est aussi un moyen de saisir les complexités de la réalité. Richard III est une leçon de politique et une leçon d’humanité. C’est aussi une leçon de théâtralité où, par une stratégie de mise en abîme opérée par le roi acteur, sont réfléchis les principes de fonctionnement de la dramaturgie qui sont peut-être les mêmes que ceux de la vie. Tragédie historique rapportant des évènements datant de plus de cinq cents ans, artificielle par sa construction et excessive par son intrigue, Richard III est paradoxalement encore très proche de nos préoccupations actuelles.