Satire sociale, conte oriental, roman épistolaire, pamphlet philosophique : Les lettres persanes sont plus qu'un brillant morceau d'ironie. Dès son œuvre de jeunesse, Montesquieu a posé les fondements d'une typologie des régimes qui articule l'anthropologie et la politique. Le lien social ne peut être le même dans les républiques où règne l'amour de la patrie, dans les monarchies régies par l'honneur, et dans le despotisme où la crainte fait taire toutes les autres passions. Pourtant, par-delà la différence entre servitude et liberté, en Orient comme en Occident, les passions et les intérêts corrompent un pouvoir qui informe en retour les modes de sociabilité. La tyrannie de l'opinion s'oppose certes à la tyrannie domestique et politique, comme la violence à la politesse ; mais la passion du pouvoir engendre une forme de servitude volontaire qui, elle, semble universelle. À la lumière de trois logiques (apparence, distinction, domination), cette étude se propose donc de mettre en lumière la dynamique passionnelle qui distingue gouvernements modérés et gouvernements violents, esclaves et citoyens, soumission aveugle et participation volontaire. Telle est la leçon de la fable : Montesquieu rappelle aux Modernes que, même si la vertu politique est chose du passé, les conditions institutionnelles de la liberté sont indissociables des manières et des mœurs.