L'expression aristotélicienne de philosophie peirastique ou essayante, que Schelling a appliquée à sa dernière philosophie, tantôt à la philosophie rationnelle, tantôt à la philosophie positive, vaut pour l'ensemble d'une œuvre polymorphe, qu'il a appelée aussi un système vivant et une philosophie en devenir. Elle justifie une présentation pour ainsi dire prismatique, sous différents éclairages, et tenant compte de la chronologie. À chaque étape ou époque de sa longue carrière, Schelling reprend les choses par le commencement et, à certains égards, il repart à zéro. Il n'est pas pour autant amnésique. La préoccupation de s'expliquer avec soi-même, de s'auto-interpréter, est une constante de la philosophie schellingienne, au risque de brouiller parfois ses propres traces. Mais ce qui fait l'unité d'une pensée soumise à bien des vicissitudes, c'est la marque impérieuse de l'absolu, véritable espace de gravitation de la connaissance. L'ennemi intime Hegel a raillé les philosophies qui démarrent au coup de pistolet de l'intuition intellectuelle, prétendant atteindre directement l'absolu. Mais Schelling s'est largement prémuni contre ce reproche, soit en instituant les déterminations réflexives qui servent d'exposants et de puissances à l'absolu inaccessible, soit en recourant a posteriori à la révélation empirique de la nature et de l'histoire. Une collection d'essais n'est donc pas une approche infidèle à l'esprit de la philosophie de Schelling, pourvu que les divers angles de vue ne perdent pas le centre, à savoir Dieu et sa manifestation. Les études rassemblées ici, dont la rédaction s'échelonne sur un quart de siècle, attestent l'unité latente, fondamentale, qui s'impose à l'instance critique, d'une grande philosophie.