La philosophie reproche souvent à l'anthropologie de passer à côté de la question du soi, de l'identité personnelle. Or, donner à voir cette présence vivante et concrète du moi à lui-même, tel semble être le projet de la phénoménologie de Husserl dans la mesure même où elle arrache au moi de fait, pour reconduire à une conscience sans âme. En s'attachant à la description du soi et des figures du soi, Husserl dévoile un sujet qui, tout en procédant par pure identité, s'individualise, se constitue lui-même comme personne. Parce qu'on est une personne [...], ce concept de personne reçoit peu à peu dans l'œuvre de Husserl une signification transcendantale, et non plus seulement mondaine. La singularité insubstituable que le sujet se donne comme étant l'œuvre de sa liberté, est alors comprise à partir de sa vie temporelle, charnelle, téléologique, interpersonnelle, sociale, historique, éthique et même religieuse. Loin de comprendre le je comme un simple centre vide, Husserl s'attache à décrire la concrétude même de la subjectivité qui, seule, peut justifier que l'ego n'est pas une chose parmi les choses, mais une continuité de développement, une durée dont il fonde l'indivisibilité. À partir de la description des structures a priori de la conscience rationnelle, qui montre comment le sujet s'individue devant la vérité, en accomplissant sa tâche propre dans le don de soi aux idées, Husserl achève le mouvement historique d'absolutisation de l'ego pur, tout en prenant conscience des limites d'une telle entreprise. En cela, la phénoménologie transcendantale est bien un tournant de l'histoire de la philosophie.