Dans l’Europe d’Ancien Régime la pauvreté est endémique. Elle est tout à la fois un risque conjoncturel (auquel on répond par la culture des terres communes, la pluriactivité de toute une famille mise au travail, les engagements de biens au mont-de-piété contre de microcrédits ou la migration saisonnière de métier), un état structurel (auquel on espère échapper par les déménagements constants, la contrebande et le vagabondage, l’illégalité et la mendicité) et une exclusion (qui conduit à l’abandon des enfants ou à la prostitution). La massivité du phénomène induit de la part des autorités des réponses dont la diversité va de la peur devant ces miséreux, qu’il convient d’enfermer dans des institutions qui les mettraient au travail pour leur redressement moral, à la dénonciation des insupportables inégalités sociales et économiques qui retranchent de l’humanité commune des individus qui ne demandent que leurs droits. En 1777 l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Châlons-sur-Marne met au concours la question des "moyens de détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l’État sans les rendre malheureux". Jamais aucun concours n’a attiré autant de participants : cent vingt-cinq mémoires sont envoyés ; ils constituent la meilleure introduction aux débats d’alors sur la pauvreté et aux questions qui agitent les élites. S’y esquissent nos questions d’aujourd’hui :comment parler des pauvres ? De l’inégalité ? Des dominés de la famille patriarcale ? De la charité, avec sa variante moderne de la philanthropie, et de l’impôt ? De l’accès au marché des plus démunis devenus des défavorisés ? De leur liberté de choix ? De l’appartenance des pauvres à la société des citoyens ? De leur mise en capacité de prendre leur destin en main ? Rarement, en histoire sociale, un siècle passé apporte autant de lumières sur nos défis les plus contemporains.