C'est un étrange dossier des archives de la Bastille et l'un des plus fascinants, fait de paperolles, qu'ouvre, pour la première fois, Robert Darnton. Au printemps de 1749, le lieutenant général de police à Paris reçut l'ordre de capturer l'auteur d'une ode moquant le roi et sa maîtresse. Le mot fut passé aux légions d'informateurs, ou mouches, et bientôt quatorze personnes croupirent dans les geôles – des prêtres, des clercs et des étudiants. Griffonnés sur des bouts de papier, les vers circulaient de cabarets en dîners avec grand succès. Robert Darnton ne reconstitue pas seulement une affaire de création collective ; il tire les mailles d'un étonnant filet : celui de la communication orale, politique, dans le Paris populaire du XVIII<sup>e</sup> siècle. La plupart des hommes et surtout des femmes ne maîtrisant pas la lecture, le moyen mnémotechnique le plus efficace était la musique. Les poèmes étaient composés pour être chantés sur des airs célèbres que l'on retrouve dans les recueils connus sous le nom de chansonnier. Voici une occasion exceptionnelle d'écrire une histoire de la communication à partir de son élément majeur, l'oralité, qui d'habitude ne laissait aucune trace.