L’homme s’est assis contre la muraille. On vient de le chasser de l’asile sans la moindre explication. Il raconte, ou plutôt il ressasse, dans un désordre qui cache sans doute l’ordre profond de nos vies, les souvenirs qui l’assaillent. Indissociablement, à mesure que s’écoule une journée torride, il mêle dans son récit les scènes et les images de cette maison de retraite d’où il se trouve exclu, et les faits marquants de son enfance : maman Rose, les soins donnés aux poules, le passage répété des tramways dans la rue, l’éveil de la curiosité sexuelle et ce Got exécré qui n’est peut-être qu’une image de lui-même, qu’une manière de se refuser et de se déguiser sous les traits d’un autre. A l’asile, il y a l’ébauche d’une idylle et le rêve enfoui de l’évasion mais, aussitôt dehors, l’homme n’aspire qu’à retourner derrière cette carapace protectrice située comme en deçà de la vie, dans ce refuge aveugle et rassurant. Sa parole est moins la sienne que l’expression de ce qui l’habite à son insu, de ce qui le traverse, que le discours de nos pulsions, de nos rêves. La journée s’achève. Comment retrouver l’issue qui lui permettra de rentrer ? Une fois terminé le tour de la muraille, aucune porte ne se présente. L’homme est prisonnier. Dehors. Dans sa propre nuit. Il n’y a plus qu’à recommencer, sur la scène du grand théâtre, qui est l’autre nom du Malheur.