Dans un poste de légionnaires, il y a quelques années, dans le Sud, un drame se déroule du crépuscule à l’aube. Peu de personnages, mais, comme dans les tragédies, chacun d’eux a un rôle bien précis. Le récit suit dans son ensemble la vieille légende grecque d’où Sophocle a tiré Les Trachiniennes. On connaît l’histoire de la mort horrible d’Héraklès, dévoré par la tunique que sa femme trompée et jalouse lui a fait revêtir, après l’avoir imprégnée du philtre donné par le centaure Nessus juste avant sa mort. Mais il s’agit moins, pour l’auteur de La Chair et l’Ombre, de transposer dans le monde moderne la fable de la tunique de Nessus que de nous plonger, au delà des temps et des lieux, dans une sorte de vie abyssale. Le destin qui emporte et dévore ses personnages, Hélène, Ato, le capitaine, est à l’image de leur propre obsession sexuelle, et la solitude du désir prend dans La Chair et l’Ombre un caractère de fatalité tragique. Dans l’entrecroisement des différents thèmes de cette œuvre, à travers les rapports insolites qui se nouent entre les personnages, par le continuel glissement du plan des apparences à celui d’une réalité qui relève de l’« horreur sacrée », nous sentons qu’en définitive le drame se joue au niveau de l’inconscient de l’homme, — cette argile noire où s’enracinent les mythes de l’amour, du temps, de la mort.