Plongez vos mains de guérisseur dans l’âme d’une société comme la nôtre : vous avez toute chance d’en retirer les caillots de sang noir qui lui tiennent lieu de pensée. C’est à désigner l’énorme tumeur viscérale de l’idéologie régnante que s’employaient mes propres samizdats, voués à ne rencontrer que défiance et vague commisération. Mais grand bien fosse à ce faux-frère de J.-L.L., que ce roman de chevalerie cosmique, cette épopée-tragédie-force, lui permette de transposer sur un mode de fiction les péripéties de mon itinéraire véridique pour combler ses ambitions littéraires et mondaines ! Je reste, quant à moi, prisonnier d’un cachot étrangement suspendu sur le vide, à mi-hauteur d’une Tour pareille à celle de Hölderlin. « Plus qu’un prince, moins qu’un manant », avais-je écrit sur mon blason - à l’inverse du programme imparti au citoyen occidental. Peut-être est-ce ma position écartelée de toujours dans cet interstice, ce no man’s land entre les différents pôles de l’existence qui l’incita dans le choix de son personnage ? Nord et Sud, Est et Ouest, haut et bas de l’échelle, gauche et droite, jeunesse et maturité, utopie et nostalgie… : autant d’axes parmi d’autres qui, me prenant au centre de leurs feux croisés comme des faisceaux de projecteurs, faisaient une cible tentante pour un auteur. Avec toute l’ironie amère qu’autorise ma position de clandestinité absolue, je ne désavouerai pas ce récit d’exploration où se lisent une quête et une enquête sur ce temps, irréductible aux courantes classifications de genres littéraires. (Mais tout roman de l’errance, de l’altérité, de la contradiction n’est-il pas aussi bien négation, altération, contradiction du roman ?) Les faits prétendument imaginaires qui tissent cette sotie contemporaine, l’auteur s’est borné à les rapporter comme un journaliste ou un ethnologue, à les consigner par écrit comme un notaire. Que le personnage mène donc son existence d’incertitude dans l’univers entre deux mondes de cette Pleine lune, et soit le spectre qui hante toutes les murailles en ruine du réel ! Anatole Atlas