Tendu « aux extrêmes fatals », ne songeant qu’au leurre des apparences, abasourdi par « les rites dérisoires » du quotidien, sans espérance et comme à la dérive, un homme en ces poèmes tente en vain de se ressaisir. Écriture bilan, thérapeutique. Il estime sa « faim inutile ». C’est sûr, il porte le poids d’« une faute » à expier. Mais laquelle ? Le réel toutefois nous brutalise et le poète subit les assauts d’un corps qu’il devrait aimer. Ces caresses restent sans au-delà. Il ne songe qu’à « reculer l’inexorable étreinte ». Au spasme suivi d’un vide existentiel, il préfère rêver d’un « feu pur », se satisfaire des joies imaginaires. L’amour est « pris au piège », réduit « aux limites de l’ombre », puisqu’il ne balaie pas l’angoisse. Excellent analyste de soi, Jacques-Henri Caillaud diagnostique en lui ce « secret désaccord/de l’être et du temps ». Le temps va trop vite, tout est pareil. On songe ici aux ressassements amers d’un Patrice Cauda (L’Épi et la nuit) voire d’un Jacques Réda… On songe aussi parfois au Reverdy de la cité abstraite, aussi à la dérive (« La rue a déserté son rire d’autrefois »). Le poète subit le pourrissement des choses. Il renchérit la dose par un goût de l’autodestruction. Devant l’angoisse de la chair « aux rives désertes », l’impossibilité de trouver nulle part la sérénité ou le repos, il fuit. Errance morbide. Quel est le « sens de la traversée ? » Ne le saura-t-on qu’« au bout du chemin ? » A la pensée du suicide répond un répit dû à l’ironie. D’autre part, le poète recherche et regrette la mort de la mémoire. L’écriture sera une « collecte d’objets morts », comme une comptabilité répétitive de l’odieux final. « Las des rencontres », « le regard lassé des fruits et des saveurs », le poète s’est donné à la quête du lieu, chère à Mallarmé comme à Bonnefoy. L’accès au lieu préservé, origine et but, lieu de l’accord avec soi et avec le monde — mais qui recule vertigineusement comme un mirage mortel.