L’origine de l’affinité qui lie Benjamin à Proust est à rechercher dans leur théorie du langage. Tous deux refusent de partager une conception linguistique qui pose le principe de l’arbitraire du signe. Benjamin tend vers une « Ursprache », émanation du langage divin. Proust fait du Nom l’objet même de la quête du roman. Cette conception mystique du langage attire Benjamin vers la Recherche, dont il traduit la moitié vers la fin des années vingt. On étudie ici de manière détaillée cette traduction, la confrontant avec la théorie de son auteur telle qu’il l’expose dans « La tâche du traducteur ». L’intérêt de Benjamin pour la vie et l’œuvre de celui qu’il a ainsi rencontré la plume à la main se retrouve dans tous ses écrits ultérieurs. On peut même considérer qu’Enfance berlinoise, entre exorcisme et emprise, est une authentique « réécriture » de la Recherche, un passage obligé dans ses images, une galerie labyrinthe. Les courts textes de Benjamin tissent les motifs communs aux deux écrivains : nostalgie de l’enfance, pouvoir et limites de la mémoire et du langage, vertiges du désir et de la mort, mise en scène de l’allégorie. Mais Benjamin permet aussi de lire Proust « autrement », en réexaminant son rapport au judaïsme et à l’Histoire.