Il allonge les jambes sur un pouf en cuir élimé, dispose le petit coussin qui lui sert d’appui-tête, attend le début de l’émission les bras croisés, comme un seigneur. Le speaker commence par décrire la salle, les lumières, la décoration, estime l’affluence, signale parfois les personnalités en vogue, hommes politiques, acteurs ou autres, apprécie les belles toilettes, l’éclat des jolies femmes. Lucien M. ferme les yeux. Au brouhaha continu et crescendo des spectateurs qui s’installent, se mêlent les notes éparses et dansantes des instruments qui s’accordent, les fragments de gammes ébauchées, les éléments de mélodies qui délient les doigts ou humectent les lèvres. Lucien M. rêve. Ses oreilles l’introduisent dans les salles les plus prestigieuses. Il se voit en habit de soirée, sous le lustre central de l’Opéra de Paris ou de la Scala de Milan, au milieu d’hommes sérieux et de femmes élégantes qui le reconnaissent de loin, lui adressent des petits signes du bout de leurs doigts gantés. Il leur sourit.