Avant ta naissance, je croyais qu’un enfant n’était que source d’ennuis, qu’il vous dérangeait le jour, vous réveillait la nuit, vous empêchait, en toutes circonstances, de faire ce que l’on souhaitait. Il me semblait aussi qu’un tout-petit n’avait besoin que de sa mère, et qu’un père, auprès de lui, n’avait que peu de place dans les premiers temps. Et puis tu es venu. Tu t’es d’abord, fort heureusement, élancé vers le sourire maternel, ce lieu où il est si doux de se blottir, et que tu recherchais comme d’autres font les Indes. Mais un jour tu m’as regardé. Tu m’as regardé, et le monde s’est mis à trembler jusque dans ses fondements. Tu m’as regardé : à ton exemple, je me suis senti naître. Ton babil m’était mystérieux. Tes mots n’étaient pas encore des mots, mais ressemblaient aux pétales repliés des fleurs en bouton, attendant d’éclore. Cela importait peu ; ne pouvant accueillir ces sons dans mon esprit, je les recevais dans mon âme. Je ne comprenais rien à tes paroles : elles donnaient un sens à ma vie.