Oui bien sûr elle se souvenait. Qu’elle devait raconter. Qu’elle se l’était promis. Et bien des fois. La première fois le matin même où ils descendaient tous les sept le chemin enneigé, et où elle avait vu comment on les regardait. La deuxième fois et toutes les autres fois ensuite dans des moments de pareil vertige… – Mais chaque fois elle avait pensé qu’elle n’avait pas encore assez de force, de courage, de métier, etc., pour affronter ce qui était en somme son être noir. Et maintenant c’était le temps qui menaçait de lui faire défaut. Il fallait se dépêcher. Décrire d’abord brièvement le hameau où « ça » (ce qu’elle devait raconter) avait eu lieu. Puis la ferme, toute dernière ferme à droite du chemin, juste avant la forêt dont le sommet ne s’appelle pas pour rien « La Solitude », et les habitants de cette ferme, qui, lorsque l’histoire commence, vivent depuis longtemps déjà comme en sursis dans un monde dont les bases vacillent. Et, enfin, vite attaquer le récit – le récit dans le détail, le récit net, sans fioritures, sans commentaires – du pire…