Marc arriva dans les premiers jours de mai à Saïda. Une petite ville algérienne accrochée à la montagne et traversée par une route qui conduit au désert. En ce temps-là habitée, en sus des autochtones, par beaucoup de militaires. Deux mois plus tard, il mourait. Sous mes yeux. Une espèce de folie héroïque l’avait poussé à faire le mariol devant la mort, comme un toréador devant le taureau. En quelques jours, j’en avais vu des hommes, et des meilleurs, tomber autour de moi, autant qu’un ancien de Verdun pendant la bataille. En y réfléchissant, j’avais beau me dire que c’était la guerre, il n’empêche. Un vrai massacre. On s’était battu pour me délivrer. Avais-je une quelconque valeur marchande ou politique, voire intellectuelle ? Rien du tout. On appliquait simplement la règle du jeu : j’avais été capturé, il fallait me libérer, question d’honneur. Si quelqu’un me l’avait demandé, j’aurais répondu que je ne valais guère plus qu’une crotte de chien. Et par-dessus le marché, moi, j’avais survécu à tous les mauvais coups ; mais pas le curé, mais pas Marc, et pas non plus le tirailleur et d’autres. J’avais bénéficié, au cours de ma capture, d’une succession de miracles, le mot n’est pas trop fort. Il fallait se rendre à l’évidence, la providence, le destin, ou, autant l’appeler par son nom, Dieu, m’avait accompagné et protégé. Pourquoi moi ?