A la raison théorique des siècles anciens, livrée au sommeil scolastique, succède une raison qui se veut pratique. Elle entend être libre, mais elle n’est qu’un objet. Sade le comprend, qui exige de la raison d’autres raisons.Tout l’effort conduira vers cette tentative d’incarnation : la Grande Révolution. Echec ? Nullement. Mais les libertinages de la raison sont, alors, les libertinages d’une captive. Le XVIIIe siècle, d’apparence, a livré un moule : celui d’une raison exemplaire. La réaction thermidorienne, dans son besoin de récupérer une histoire immobile, a voulu qu’elle se rendorme. Les socialistes utopiques, les révolutionnaires de 1830 et de 1848, les marxistes enfin, ont brisé le moule légué par le XVIIIe siècle. Ils ont tenté de substituer à la raison pratique une raison dialectique : nous sommes en plein dans ce mouvement.On a cru la raison une fois pour toutes donnée : c’est l’invariant absolu dont parle Jean Piaget. Il n’en est rien. Il faut comprendre, après tout, que la raison est d’abord et véritablement l’élaboration de la raison. Voilà qui réconcilie l’homme avec la culture de son époque, et l’y oppose en même temps. C’est — aussi — ce qui permet à l’homme de se dépasser, c’est-à-dire de se conquérir.