... parce que tu comprends, je voudrais jouer de l’accordéon, mais je ne voudrais pas en jouer bien. Ce que je voudrais c’est jouer à l’arrière-plan, pendant que les gens chantent ou dansent, jouer seulement pour les mettre en train... On ne peut pas espérer que les gens lisent vos livres en frappant dans les mains : d’où cette brusque nostalgie. L’accordéoniste populaire, celui qui fait les bals, ce n’est pas très important qu’il joue mal, qu’il fasse des fautes. S’il est fatigué, un autre le remplace. Il est interchangeable. Indispensable et interchangeable. Voilà mon paradoxe, mon idée fixe. J’ai une balance dans la tête et un volcan dans le plexus. Je ne suis jamais parvenue à concilier les deux. C’est ça le rêve de l’accordéon. Le désir de voir danser, de faire danser, de déchaîner le joyeux volcan de la fête, mais tout de même sans y participer directement, parce que ça finit par des vitrines cassées, des gueules de bois et des regrets. Un déchainement harmonieux. Un défoulement qui soit en même temps d’une exquise justesse. Allez vivre tranquille avec des rêves pareils. ... Non, ce qui me conviendrait, ce serait de me fondre dans un ensemble. Une chorale, un orchestre, un groupe... Mais un groupe harmonieux. Et si je fondais une chorale des Goncourt ?... Ça pourrait être magnifique, ce chœur de voix d’hommes. Moi, naturellement, je jouerais de l’accordéon. ... Pour être aimée en tant que jouant de l’accordéon, c’est-à-dire au titre de ma fonction. Pour être aimée tout en restant “à l’écart sur une chaise”. Pour être aimée au nom de l’amour, tout simplement.