Rien, semble-t-il, ne laissait prévoir l’explosion sociale de mai-juin 1968. Pourtant, durant les huit mois précédents, où, leur micro d’Europe n° 1 en main, Philippe Bauchard et Maurice Bruzek interrogeaient les leaders des différentes confédérations sur l’évolution du mouvement syndical, il leur apparaissait qu’on allait, lentement peut-être, avec des à-coups, mais inexorablement vers une révolution comparable à celle de juin 1936. Certes, toutes les tentatives faites par les syndicats pour engager un dialogue à l’intérieur de l’entreprise, ou pour participer à l’élaboration de la politique économique du pays, ou encore pour se concerter avec les partis en vue de programmes communs, avaient échoué. Mais deux mouvements sociaux, relativement récents, la grève des mineurs de 1963, l’affaire Bull dès 1964, exprimaient un véritable tournant dans l’état d’esprit des syndicalistes français. S’il était, bien sûr, toujours question de revendications salariales, une autre sorte de préoccupation, toute nouvelle, animait les grévistes : la recherche d’une discussion avec la direction des entreprises en cause sur la conduite même de leur affaire ; on assistait, sans le savoir, à une répétition générale. Cette histoire des dernières années de conflits sociaux constitue ainsi la première explication en profondeur de la crise récente. Les leaders syndicaux ont livré leurs points de vue à Philippe Bauchard et Maurice Bruzek, au cours de leur enquête et depuis les événements. Le syndicalisme à l’épreuve dresse le constat le plus rigoureux et le plus complet des quarante jours qui viennent d’ébranler la France.