Adolf Hitler demanda un jour à Hermann Neubacher si, selon lui, la Croatie faisait partie des Balkans. Et le chargé de mission spéciale dans le Sud-Est européen s’étonnait de la perte du sentiment du « territoire » chez cet homme d’origine autrichienne. En effet, le concept des Balkans n’est pas seulement géographique, mais politique et culturel aussi : appartiennent aux Balkans les régions qui ont échappé à l’empreinte de la civilisation latino-catholico-habsbourgeoise. La Serbie fut byzantine avec l’Empire d’Orient, la Croatie non. La Serbie subit le joug turc, la Croatie non. La Croatie faisait partie de l’Empire austro-hongrois et la Serbie non. Une frontière essentielle à l’intérieur de l’Europe est située là. Zagreb, capitale de la Croatie, s’appelait Agram dans la monarchie bicéphale. Lubliana, capitale de la Slovénie, s’appelait Laibach. C’est là un bon exemple de réalité géopolitique. Rendue indépendante en 1941, la Croatie se rangea immédiatement aux côtés des Allemands. Et la Yougoslavie revint à sa vocation balkanique ancestrale, terre des guerres civiles et des pires cruautés qu’elles savent engendrer. Serbes contre Croates, catholiques contre orthodoxes, monarchistes de Mihaïlovitch contre communistes de Tito, Allemands contre Partisans, influences allemandes contre ambitions italiennes, manœuvres anglaises contre ambitions soviétiques... Une grande part du destin de l’Europe se joua là lorsque les Alliés occidentaux renoncèrent à débarquer, abandonnèrent les amis du roi Pierre et se rallièrent à Tito. Après la guerre ils devaient logiquement renoncer à rétablir la démocratie au nom de laquelle ils avalent fait la guerre. Ils laissèrent en outre les Serbes massacrer les Croates coupables d’avoir voulu leur indépendance et les nouveaux maîtres communistes de la Yougoslavie se venger cruellement sur la personne des prisonniers allemands qui n’avaient eu le temps de faire retraite jusqu’à la frontière du Reich. C’est ce sombre chapitre de la guerre mondiale qui, comme l’a dit Churchill, fait partie de « la somme infinie de la misère humaine » que nous conte Bernard George.