Faire « vibrer la corde bouffonne », tel est le programme que s’assigne Théodore de Banville au seuil des Odes funambulesques en 1857, liant durablement poésie et comique. Sous le double patronage de Heine et d’Aristophane, ce recueil à dominante satirique rejoint sur bien des points l’essai philosophique de Baudelaire, De l’essence du rire paru deux ans plus tôt. Au sein d’une œuvre apparemment unique en son genre, l’expression funambulesque représente en vérité une scansion majeure dans l’histoire de la poésie française. D’un côté, elle puise ses moyens dans la caricature, de l’autre, elle s’adosse à la fantaisie. Certes, la corde bouffonne n’est pas toujours drôle. Elle se révèle même souvent mélancolique et grinçante. Mais elle procède d’un dessein original puisqu’il s’agit pour Banville, par ailleurs théoricien longtemps admiré du Petit traité de poésie française (1872), d’inventer « une nouvelle langue comique versifiée », centrée notamment sur la rime. Ainsi s’amorce une tradition qui compte dans ses rangs aussi bien Rostand et Verlaine qu’Apollinaire ou Jarry. Du funambulesque au mirlitonesque s’opère de la sorte une mise en crise du « lyrisme », enfin délesté du pathos romantique et propre à ouvrir le poème à son indéfinition ou à sa redéfinition. Autant de voies possibles se dessinent alors qui alternent la virtuosité et le « mal écrire ». Important les procédés théâtraux jusqu’à la cocasserie et à la fumisterie, le comique use d’équivoques prosodiques comme de stratégies parodiques, visant en priorité la dégradation, voire la déformation du poétique.