“La Distribution” est, en quelque sorte, un roman au futur, où le rapport triangulaire, auteur-personnages-public, se trouve bouleversé : ce n’est pas sous la plume de l’écrivain que nait l’œuvre, mais dans l’esprit même du lecteur. Si la “petite rouquine”, jeune fille impertinente et sensible, attachante à plus d’un égard, se laisse entraîner à des amours paradoxales par ses ennemis ligués contre elle, ce sera moins l’œuvre de l’auteur que d’une sorte de fatalité où le lecteur aura autant de part que les personnages eux-mêmes. La “distribution” dont il s’agit est en effet celle d’une pièce qui n’est pas encore écrite, mais dont le dramaturge-romancier distribue par avance les rôles, cisèle les personnages, préparant ainsi leurs rapports futurs. Au lecteur d’imaginer les détails de l’action. Ces personnages, quels sont-ils ? Un groupe de yachtmen qui débarquent dans un palace de la Côte d’Azur, le personnel de l’hôtel, quelques clients de passage. L’un après l’autre, chacun sera étudié minutieusement et, de ces portraits juxtaposés, il ressortira une construction dramatique ou romanesque, au gré du lecteur. Mais si l’anecdote, au sens où on l’entend traditionnellement, est absente du livre, ce roman diffère plus encore du roman traditionnel : les héros n’y sont jamais considérés en tant que personnes mais en tant qu’objets au même titre que les décors. Ces personnages objectalisés constituent les données mêmes de l’action, réduites à des formules psychologiques, comme les pièces d’un jeu d’échecs disposées en vue d’une partie imminente, d’où leur futurité.