On a beaucoup parlé des massacres d'Indiens. Ces formes de génocide indignent justement. Mais les politiques vertueuses d'"acculturation progressive" ou de regroupement des populations indigènes reviennent à fermer les yeux sur la cause profonde du mal : l'ethnocide, la destruction de civilisations vivantes. La nôtre ne s'est pas contentée de voler la terre : elle entend soumettre. Là où elle est lasse de massacrer, elle décide de "civiliser". On ne liquide plus, on assimile. Vaincu, le "sauvage" doit aussi - pour son bien - renoncer à sa culture et à son identité. Partant de son expérience d'ethnologue - notamment chez les indiens Motilones, à la frontière du Venezuela et de la Colombie - Robert Jaulin donne ici des images très concrètes de ce processus de négation culturelle et de ses conséquences. Ce livre, cependant, est bien davantage qu'une mise en accusation des responsables locaux de l'ethnocide : compagnies étrangères, petits colons, missions, etc. Il est le procès de cette "paix blanche" dont la loi et l'ordre reposent sur la prétention de notre civilisation à être toute civilisation. Au service de cette prétention ne trouve-t-on pas, dans certaines de ses tendances néo-coloniales, l'ethnologie elle-même ?