Depuis un demi-siècle, les historiens s'intéressent à la classe ouvrière. Le mouvement ouvrier, lui-même, s'est toujours montré soucieux de son passé. Aujourd'hui, les militants souhaitent à la fois une histoire qui éclaire le présent, et qui permette à chacun, parce qu'il a un passé, de mieux s'ancrer dans la réalité. Le XIXe siècle ce n'est pas seulement Napoléon III, mais aussi l'ouvrier relieur Varlin. Mais cette histoire concerne surtout les travailleurs. Si, avec la renaissance du féminisme, les femmes commencent à avoir un passé, les travailleuses n'en ont guère. Elles sont des épouses, des mères, rarement des productrices. Leur passé est ainsi amputé d'une composante fondamentale. On estompe leur contribution aux luttes ouvrières comme leur participation à la production. N'est-ce pas atrophier la conscience qu'elles ont d'elles-mêmes et du monde ? Marqués par le proudhonisme et la culture dominante, menacés par le chômage, les ouvriers ont longtemps vu avec inquiétude les femmes entrer à l'usine. Leur place dans le mouvement ouvrier fut donc contestée. Les faits montrent que, très tôt, les femmes participent à la lutte ouvrière. La résignation à un état de fait, considéré comme contraire à leur nature de mère et de ménagère, fait peu à peu place à la revendication du droit au travail. Le mouvement ouvrier ne peut plus ignorer ces aspirations. Les femmes entrent dans les syndicats. Elles adoptent, certes, d'abord les mêmes revendications que les hommes, mais leur présence modifie à la fois les structures et les programmes syndicaux. Le passé des français ce n'est pas seulement Varlin, c'est aussi l'ouvrière relieuse Nathalie Lemel, et les milliers de travailleuses à qui l'histoire redonne aujourd'hui existence.