Bien des lézardes ont, depuis quelques décennies, fracturé le monde tel que nous l'habitions, structuré par nos représentations, organisé par nos projets, coloré par nos attentes et nos craintes. La contingence et l'événementialité ont resurgi en bien des domaines, appelant une pensée de l'aléatoire, qui s'accommode de la pluralité de systèmes instaurant leur ordre local et précaire dans un univers en expansion... ou déjà explosé. Dans un monde en perpétuelle recomposition, les hommes se découvrent pris entre la turbulence des flux d'où naissent et en lesquels disparaissent des formes provisoires, et la stabilité de systèmes générateurs d'appuis comme de contraintes. La nature révèle alors, en son improbable complexité, sa fragilité, tandis que l'histoire s'écartèle entre la montée en puissance d'une technique planétarisée, associée à une économie sans frontières, et le retour de revendications identitaires opposant aux rêves d'universalité la persistance d'oppositions élémentaires, voire archaïques. À nous de choisir notre route vers un avenir riche en possibles – y compris celui de notre autodestruction – et pauvre en repères. Encore faut-il, d'abord, prendre conscience de cet horizon nouveau, trop souvent abordé à partir de concepts et de schèmes hérités d'un monde forclos. Franck Tinland est professeur de philosophie à l'Université Paul-Valéry (Montpellier). Ses principaux travaux concernent la philosophie politique et une théorie de l'être humain faisant une large place à une réflexion sur la technique, en tant que, située de manière critique à l'interface entre humanité et naturalité, celle-ci noue et transforme les relations complexes entre puissance, pouvoirs et normes, ouvrant ainsi sur des figures nouvelles de notre responsabilité.