Ce livre est né d'un sentiment d'impatience, sinon de colère. Une culture qui m'avait — après beaucoup d'autres — fortement marqué, dans laquelle je m'étais formé, que j'admirais et dont les profits me semblaient (malgré ses lacunes évidentes heureusement) indiscutables, une culture forte, neuve, dont la France avait été un agent, ou un catalyseur, important (et par laquelle elle continue de se représenter à l'étranger), cette culture disparaissait. L'effacement de quelques noms, les excès auxquels avait donné lieu la découverte d'un nouveau champ, la lassitude du public, les nécessités journalistiques, la loi du marché en général, tels sont quelques-uns des prétextes à ce rejet. De là une situation que l'on pourrait qualifier, sans excès, de tragique : des livres impubliés, des auteurs prêts à parler, qui se trouvaient dans l'impossibilité de le faire, l'impression de se trouver sur une langue de terre qui réduirait de jour en jour, mangée par un flot d'écrivances et de discours interchangeables. Ces pages – après avoir assemblé quelques traits de ces dernières années – proposent à la discussion une nouvelle figure, un nouveau type d'écriture, qui ne renie pas cette théorie dont on nous effraie tant, mais lui fait prendre un nouveau tour. Inflexion qui passe par des croisements, des métissages, des exigences nouvelles. J'insiste sur ce qu'elle a – à l'opposé de toutes les formes de naturel qui ne cessent de se recomposer et de se réimposer – d'artificiel et de rhétorique, qualificatif inadéquat par la force des choses, qui excède largement ici ses applications usuelles. Toute cette construction trouve, enfin, son point d'appui sur un emblème, une figure exemplaire, celle que lui tend pour l'occasion la vie et l'œuvre d'un peintre obscur et méconnu, Donald Evans, qui eût été sans doute le premier à s'étonner de se voir ainsi dévoyé.