La mise en place du complexe de Fos s'inscrit dans un projet politique gaulliste, celui de la création d'une nouvelle classe ouvrière, disciplinée et participative, dans le cadre d'un soutien étatique massif à l'accumulation du capital. À chaque mutation industrielle, la classe ouvrière est ainsi invitée à oublier sa mémoire, ses traditions de lutte, ses capacités d'organisation. Mais elle trouve, en des lieux, pourtant tout acquis en apparence à la domination bourgeoise - l'usine, la famille, la région, la nation - des positions à partir desquelles elle résiste et conserve son identité. Décimé à Marseille où les usines sont mises à l'encan, démembré à Fos par les pratiques de sous-traitance, le collectif ouvrier se reconstitue dans les luttes. La régionalisation des conflits est une des formes privilégiées de cette unification. Ce qui se profile ici derrière l'idée de région, c'est la geste des travailleurs du port de Marseille qui mêlent, dans des pratiques théâtralisées, la pédagogie de l'action du vieux syndicalisme révolutionnaire et le sens de l'honneur, le défi méditerranéen ; c'est l'héritage, par le biais des histoires d'almanach qui se transmettent en famille, de l'expérience des combats - les enthousiasmes du Front populaire et de la Libération, les amertumes de 1947 ; c'est aussi une création quotidienne où s'articulent les problèmes d'emploi, de trois-huit, de logement, de scolarisation. Les questions abordées dans L'usine et la vie sont donc, à la fois, théoriques et politiques : en quoi l'individu est-il le porteur d'un destin de classe ? Quels sont les rapports entre mouvements sociaux et vie quotidienne ? Comment le despotisme d'usine porte-t-il en lui sa négation autogestionnaire ?