« En étendant un drap de soie grise sur la ville et la baie, mon premier crépuscule d'Alger avait enveloppé les choses d'une tendresse insupportable, en m'étreignant avec une poignante nostalgie. À la nuit tombée et malgré la féerie des lumières de la ville, un crêpe de deuil avait recouvert cette nostalgie d'une solitude désespérée. Crépuscule après crépuscule et nuit après nuit, mon amour de Jeanne avait mis du temps à seulement s'estomper. Mais, d'une certaine façon, j'y avais été aidé par le maelström de la tragédie historique où j'avais été plongé, et qui avait fini par tout embraser là-bas autour de moi. En relisant Camus, j'avais ressenti, de façon quasi physique, combien cet embrasement final l'aurait écartelé avant de le crucifier. Sa mort absurde dans un tas de ferraille, l'avait-elle finalement sauvé du pire ? Dès que je l'avais pu, je n'avais pu éviter d'aller jusqu'à Tipasa. Errant dans l'intimité du jardin des ruines, à la recherche de je ne savais plus trop quelles retrouvailles, j'avais en vain tenté de percevoir un chuchotement d'espoir. Mais je n'avais ressenti que l'absence des dieux morts. Même le murmure de la mer dans les rochers, ne prophétisait plus rien que le lancinant va-et-vient objectif de l'écume du temps. S'il régnait encore là cette sorte de paix très particulière à la survie des ruines millénaires, celle-ci avait m'étreint d'un apaisement tragique. Et c'est en rentrant à Alger, dans la douceur dorée du couchant, que j'avais enfin réalisé tout le poids écrasant du mot définitif. »