J’ai voulu ici être fidèle aux instants d’un personnage habité par mille personnages, d’un langage habité par mille langages. Nous ne nous arrêtons jamais de recueillir en nous une foule d’impressions, auxquelles les mots donnent forme. Mais, lorsque nous écrivons, nous nous imaginons qu’il faut privilégier certains thèmes aux dépens des autres. Tour à tour anxieux, joviaux, voire grossiers, brutaux, sournois, révoltés, abattus, craintifs, amoureux, nous empruntons - au fonds commun du langage - ce qui, à la seconde même, nous paraît le plus expressif. La prose, par exemple, dans une sorte de narration balbutiée, remplit nos espaces, qu’élargit d’un coup l’irruption verbale poétique. Si l’on tient à restituer le flux ininterrompu des sensations pensées, on se nomme chef d’un orchestre où chaque instrument n’a en tête que de jouer une partition personnelle, pourtant incapable de se soustraire aux lois d’un orchestre encore plus grand. Il m’a semblé pouvoir recréer cette cacophonie essentielle, en courant de la plume sur des proses cassées par des pages où le poème ressuscite les thèmes, étant bien entendu que ces thèmes se juxtaposent et s’entrecroisent.