Le concept de tolérance revient au coeur de la théorie politique aujourd'hui après une longue éclipse. D'où vient le regain d'intérêt pour ce concept et l'urgence de le repenser en fonction des conditions de notre monde contemporain ? Cet intérêt et cette urgence tiennent, d'une part, aux problèmes des minorités auxquels sont confrontées les démocraties constitutionnelles ou libérales aujourd'hui, d'autre part, aux nouveaux conflits ethniques, religieux, culturels qui ne suivent plus les frontières des États mais les traversent selon des lignes de fracture très différentes, enfin aux projets encore balbutiants d'instauration d'un ordre juridique international. Penser ou plutôt repenser la tolérance, c'est se donner les moyens de comprendre l'établissement d'une reconnaissance individuelle et collective dans un monde déchiré, ou encore d'une reconnaissance sans réconciliation. Contrairement à ce que l'on pense souvent, la tolérance n'est pas facile parce qu'elle comporte une double exigence : une exigence adressée à soi-même de ne pas s'enfermer dans un repliement sur soi et exigence de réciprocité adressée à autrui. Contre l'idée d'une politique définie en termes d'hostilité et de lutte à mort, la tolérance ouvre la voie toute différente d'une politique de la coexistence des individus, des communautés et des peuples dans un monde irréductiblement divers et divisé.