Depuis la fin du XXᵉ siècle, le traumatisme s’est imposé comme un mode dominant d’interprétation du malheur et de reconnaissance des victimes, qu’il s’agisse d’attentats ou d’accidents, de violences physiques ou d’abus sexuels, de massacres de populations ou de catastrophes environnementales. Pourtant, il avait longtemps servi à disqualifier les soldats commotionnés et les ouvriers blessés dont l’authenticité de la souffrance était mise en doute. Si la psychiatrie contemporaine, appuyée par des mobilisations sociales, a mis un terme à cette suspicion en établissant une catégorie clinique légitime, la notion de traumatisme s’est déployée dans l’ensemble du monde social, s’inscrivant dans des rapports de pouvoir et des enjeux de justice qui peuvent occulter des inégalités et produire des hiérarchies d’humanité. De la victimologie psychiatrique après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse à la psychiatrie humanitaire en Palestine durant la seconde Intifada, en passant par la psycho-traumatologie de l’exil auprès des demandeurs d’asile, cet essai explore trois lieux, trois formes d’intervention pour mettre au jour l’économie morale et les usages politiques du traumatisme. Ce faisant, il met en lumière la manière dont nos sociétés pensent leur responsabilité à l’égard des désordres du monde et les dispositifs imaginés pour y faire face.