Les faits d’affects sont à valences multiples. Ils méritent donc d’être interrogés dans le pourquoi de leurs motifs souvent inconscients, dans le comment de leurs manifestations gestuelles et, tout aussi bien, dans le pour quoi de leurs destins éthiques et politiques. Car tout cela fonctionne ensemble dans chaque moment de l’histoire. Ce volume, comme le précédent, s’autorise à vagabonder entre des analyses de cas singuliers très divers, mais pour voir s’y dessiner une configuration particulière bien que, malheureusement, très puissante et répandue. Les faits d’affects y sont réglés selon une disjonction : « fronts contre fronts », en quelque sorte. On entre là dans le vaste domaine d’une anthropologie politique des sensibilités et, notamment, de ce que Svetlana Alexievitch nommait les « documents-sentiments » relatifs à l’expérience des femmes russes enrôlées dans les combats de la Seconde Guerre mondiale. Comment, alors, ne pas s’interroger, en amont sur la « fabrique des émotions » dans le cadre propagandiste nazi, en aval sur la notion économique de « promotion » capitaliste ? Comment, au fil de ce parcours, ne pas revenir à la notion – toujours à revisiter, de Hegel à Marx et de Freud à l’anthropologie contemporaine – du fétichisme, là où justement les relations des sujets aux objets prennent un tour réifié, aliéné, mortifère ? La disjonction affective ne caractériserait-elle pas, pour finir, ce « malaise dans la culture » duquel nous peinons à nous extraire dans un monde où notre liberté dans le « partage du sensible » se heurte constamment à une sorte de loi du marché affectif ?