Constituons-nous vraiment une espèce ou sommes-nous plutôt des hybrides ? Et pourquoi plus probablement sommes-nous les deux à la fois ? Cette question d’actualité scientifique nous conduit à revenir sur la manière dont les civilisations et les sciences en sont arrivées à conceptualiser l’hybride (figure composite faite de parties d’espèces animales, végétales et humaines) et l’espèce (figure de pureté supposée « naturelle »). Car par hybride, il faut entendre non seulement les hybrides biologiques mais aussi imaginaires (mythologiques ou artistiques) tels le sphinx, l’agneau de Berbérie, les centaures, les dragons, le kraken, les hommes volants et autres êtres fantastiques. Depuis la Renaissance, c’est d’ailleurs à partir de Léonard de Vinci et de ses travaux sur les hybrides imaginaires que l’on peut retracer la chaîne de filiation des idées qui le relie, d’un côté, aux scientifiques comme Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Darwin, et de l’autre, aux artistes comme Marcel Duchamp, Jean Tinguely, Rebecca Horn ou Christiaan Zwanikken. Sans Léonard, point focal de cette histoire, les théories transformistes et évolutionnistes n’auraient jamais vu le jour, ni les courants expressionnistes et surréalistes de l’art contemporain. C’est donc en racontant la genèse du concept d’hybride chez Léonard et de son influence sur la pensée des savants de la science moderne puis des artistes ingénieurs contemporains, que l’on peut poser à nouveaux frais la question de savoir comment la notion d’espèce est née de l’idée d’hybride, comment elle l’a redéfinie par la suite, et pourquoi la notion d’espèce est à ce point remise en cause par la notion d’hybride aujourd’hui.