Benoît Mandelbrot, père de la géométrie fractale, était connu pour son exubérance et son indépendance d’esprit. Ses mémoires, publiés ici à titre posthume, sont le témoignage touchant d’un chercheur génial dont la vie ne fut rien de moins qu’un combat. De sa Pologne natale à la France de Vichy, il passe sa jeunesse à fuir le régime nazi et son existence est d’abord un exercice de survie ; au sortir de la guerre, il se distingue au concours de l’École normale supérieure, mais aussi à celui de Polytechnique, qu’il choisit contre l’avis de son oncle et mentor, le mathématicien Szolem Mandelbrot. Peu enclin à suivre les courants dominants, le jeune chercheur se lance à l’assaut du Nouveau Monde, où il conquiert l’estime des plus grandes universités ; mais, hétérodoxe par nature, il leur préfère aussitôt les institutions de recherche privées : Philips, et surtout IBM, qui lui permettront de développer une géométrie révolutionnaire, associant la beauté à une manière radicale d’exposer des lois régissant la rugosité, la turbulence et le chaos. Les travaux de Benoît Mandelbrot ont influencé les économistes, les physiologistes, les physiciens, même les artistes psychédéliques : tous lui doivent d’« avoir pu prendre un jour la mesure du chaos dans toute sa splendeur » (James Gleick).