Peu d’hommes d’État, dans l’histoire de France, ont eu les honneurs de la légende comme Richelieu. Il semble s’en amuser d’ailleurs, le grand manipulateur des Trois Mousquetaires, qui contemple le monde du haut de ses portraits d’apparat, tout de rouge vêtu, comme s’il nous défiait de regarder sa vie de plus près. Relevant le défi, Françoise Hildesheimer retrace la carrière tâtonnante, émaillée de traversées du désert, qui conduisit Armand Jean du Plessis à devenir, à trente-sept ans, le lieutenant de Louis XIII. Au service de ce roi méfiant, bègue et jaloux de son pouvoir, Richelieu mit l’énergie extraordinaire qui faisait dire à Malherbe qu’en lui, quelque chose "excédait l’humanité" : jusqu’à sa mort, en 1642, il s’employa à combattre les intrigues sans cesse renaissantes de la Cour, à imposer l’obéissance aux Grands du royaume, à déjouer les complots ourdis dans les chancelleries européennes, à réinventer une politique d’alliances, pour établir la gloire de Louis et faire naître la France moderne… une entreprise titanesque à laquelle il ne sacrifia jamais ses activités de théologien, d’auteur de théâtre et d’historien. C’est bien un homme, pourtant, et non un héros ou un démon, que ce livre nous invite à découvrir : un homme vieilli avant l’heure, aux nerfs fragiles, que la peur de la disgrâce ne quitta jamais, tant le ministre tout-puissant se savait suspendu à la faveur, flottante, du roi ; un homme habité par le goût de l’action et le culte de la raison, mais aussi par une foi sincère. N’en déplaise aux faiseurs de légendes