Kierkegaard est un penseur du langage. Dans ses Papirer, il note que derrière toute parole se tient un silence, une idéalité « que l'homme a reçue gratuitement », et dont l'usage exprime un agir. Or ce rappel d'une vieille vérité, au moins aussi vieille que Pythagore, a plongé Kierkegaard dans un probléme nouveau. Car, si la philosophie veut tout dire, elle oublie que l'essentiel ne se dit pas, ce qui ne veut pas dire qu'il ne s'exprime pas. Ainsi est-il amené à penser une dialectique de la distance cherchant à illustrer les expressions de cette intériorité qui ne peut se dire directement sans se perdre. Abandonnant Hegel, il interprète Hamann. Ce choix permet à Kierkegaard de montrer que, si le langage, par la distance qu'il pose, falsifie l'éthique, il peut aussi la réhabiliter dans une « seconde éthique ».Le Danois forge le problème qui animera toute l'éthique du XXe siècle. Car c'est cet enjeu, au centre des oeuvres de Wittgenstein, de Gadamer et de Lévinas, qui consiste à cerner les limites du langage, qu'il analyse. Or, père du problème, Kierkegaard peut nous réapprendre quelque chose que notre modernité a tendance à refuser. C'est qu'en niant l'intériorité, en obligeant à vouloir dire ou en la séparant de l'autre, la pensée contemporaine a perdu la clef de l'éthique. Cette clef réside en ceci : il faut d'abord accepter de se taire pour réentendre la parole qui s'exprime au fond de nous, en secret, et qui seule assure la genèse de la subjectivité dans sa quête de vérité.