Toutes les dents de Louise n’ont pas été comptées, ni ses cheveux et sa courbe de croissance n’a pas été analysée. Une petite fille grandit sur l’écorce de la terre qui projette une partie de son cercle sur le disque lunaire reflétant le soleil dans la grande nuit des astres, des gaz et des poussières. Dans ce livre à l’écriture déliée, limpide comme de l’eau de source, on apprend à connaître Louise, « princesse aigre-douce “ née ” de son propre chef » un jour de janvier. Décidée, délicate, en colère, aimant les chats, curant les pieds des chevaux, Louise ne néglige pas pour autant les histoires de souris et de dents de lait, la capture des escargots et la chasse aux poux, le tissu des robes légères, la cuisson des crêpes et le rire de ses voisines. C’est qu’avec Louise, écrit joliment son père, « on est si près d’une hirondelle qu’on peut en humer le frémissement ». Louise, ou du moins, le personnage qui porte ce nom. Car Savitzkaya prend garde, dans ce portrait tendre et affectueux sous-titré roman, de ne pas nous laisser entrer trop loin dans un univers qui doit rester personnel. Avec pudeur, il évite aussi à Louise l’hommage symbolique et trop pesant d’un père systématiquement observateur. Difficile exercice – que ratent beaucoup de romancier(e)s contemporain(e)s –, savoir tracer cette ligne de démarcation qui sépare la vie privée de la vie publique. Savitzkaya saute magnifiquement l’obstacle, sans tomber dans la préciosité ou l’infantilisme. Et derrière l’évocation de Louise – qui a ou aura, comme tout être, des difficultés à traverser –, il donne l’éloge d’une enfance en devenir, sautillante, sensible au plaisir de l’imprévisible, mais surtout ouverte à tous les possibles. Un manuel de savoir-vivre, en quelque sorte. (Alain Delaunois, Le Soir).