J’en connaissais ce qu’un confrère m’en avait dit, en 1971, à l’issue d’un conflit à Usinor qui suivait de quelques mois les « municipales ». Il avait été frappé par l’intervention du nouveau maire au cours d’un meeting, impressionné par le feu de son discours. Lui, l’ouvrier, le délégué, il avait parlé de la ville, de la dignité et de la santé des hommes, des conditions de vie tronçonnées en « 3 × 8 », du combat à mener pour que la cité ne soit pas l’usine et que la vie ne ressemble pas à une prison. « Ce type, c’est quelqu’un... Il a dit ce qu’il fallait dire, ce que ne disent jamais les représentants syndicaux pendant une grève. » C’est seulement ensuite que j’ai compris que s’il avait été élu par les travailleurs de Grande-Synthe, c’est qu’il était l’un d’eux. Et qu’il savait exprimer ce qu’ils subissent sans mot dire. Cinq ans après ce meeting, un jury national animé par la revue Vie publique le désignait « meilleur maire de l’année ». Ce n’était pas un hasard pour nous qui le côtoyons presque tous les jours. Nous faisions cependant dans le même temps la découverte naïve que l’on ne connaît rien, ou si peu, des hommes avec lesquels on vit et travaille. Rien de leur passé, de ce qui les a forgés ; rien de ce à quoi ils croient, de ce qui fait qu’à un moment donné ils décident, refusent, s’engagent. Rien de René Carême... Nous voulions savoir. Mais aussi, faire savoir. C’est la raison de ce livre, transcription d’une série de conversations au cours desquelles il se raconte.