Lorsque l’on voit Haïti, pays ruiné, déboisé, infertile et privé de ressources naturelles - désolé de surcroît par les sécheresses, les ouragans et la malnutrition -, la tentation peut être grande d’incriminer la Nature, normalement dispensatrice de bienfaits, mais qui serait ici restée en panne de générosité. Toutefois quand on constate par ailleurs que dans ce pays-là, plus rien n’est indigène : ni les plantes cultivées, ni les animaux domestiques, ni la population elle-même, on se dit tout de même que la Nature n’intervient que pour peu de chose dans la misère des Haïtiens. De ceci est venu l’idée d’analyser de façon conjointe l’histoire du milieu naturel d’Haïti et celle des sociétés qui s’y sont succédées, afin de mettre en lumière l’accord profond qui existe normalement entre la construction du paysage et l’organisation de la société ; et pour montrer comment, dans le cas d’une histoire tumultueuse telle que celle d’Haïti, chaque société nouvelle qu’apportent les invasions, la piraterie, l’esclavage, les guerres et les révolutions, ne peut que s’établir sur les débris du paysage qu’avait élaboré la forme sociale précédente, délogée par la violence. D’où une constatation : si au bout de quatre siècles de destructions il ne reste que des ruines, quoi de moins étonnant ? - et une démonstration : il n’y a pas d’hétérogénéité réelle entre le paysage et la société, pas de divorce irrémédiable entre la Nature et la Culture. Celles-ci au demeurant peuvent d’autant moins rester étrangères l’une à l’autre qu’en dehors de toute intervention matérielle ou technique, l’esprit déjà façonne le paysage par l’imagination. C’est à l’illustration de ce dernier point que s’attache la deuxième partie de cet ouvrage, consacrée à une approche anthropologique de la culture haïtienne contemporaine. Y sont analysées : la parenté, la propriété, l’organisation du travail, la représentation du corps, la médecine populaire, la religion et la langue, dans leur rapport avec la construction du monde, et leur action sur les aménagements concrets que la société apporte à son environnement.