Comment donc est-il possible d’être un libre réactionnaire ? À ce qui semble a priori un profond mystère, Léon Daudet a su apporter de convaincantes réponses au fil de la plume et des années. En avance de bien des idées sur son temps, génial découvreur de Bernanos, Céline, Picasso, fidèle des Lys et de l’Autel et menant pour cela même grand carnage de bien-pensants et de culs-bénits, anti-conformiste de race et de tradition familiale : telles sont les couleurs impérieuses sous lesquelles Éric Vatré nous donne à retrouver la saisissante figure du Gros Léon, comme le nommaient les Parisiens. Ajoutons qu’à l’exemple de son ami fraternel Henri Rochefort, Daudet incarne pour jamais la liberté de l’esprit, la défense enthousiaste du bon sens, le triomphe de la drôlerie. Il connut le Tout-Paris et tout Paris le reconnut. Son immense talent journalistique le fit apprécier jusque dans les chapelles politiques les plus éloignées de l’Action française et la mort de son fils Philippe émut de mille manières la France de Marianne III. Au vrai, Daudet incarne la polémique du vivant. Réactionnaire ? D’emblée le mot fait mouche, mais à quel prix ! Vomissant les tièdes selon l’inclination de son tempérament, Daudet revendique haut et clair l’épithète, s’amusant de sa connotation ultra-péjorative, s’ingéniant en gourmet du vocable à le restaurer dans son sens original, enfin à le réhabiliter non sans fracas. Ne pose-t-il pas en postulat que le polémiste naît réactionnaire ? Ce que l’histoire du journalisme d’opinion vint souventes fois confirmer. Aussi bien dans cette société du début de siècle, l’anti-conformisme de qualité se donne pour réactionnaire, trouvant en cela un moyen commode d’effaroucher Joseph Prud’homme, tout en renouant librement avec un style et une certaine sagesse.