« Un jour que les Campora s’éternisaient sur un dessert d’amandes vertes, tardaient à quitter la table, ils virent descendre du tram une inconnue… » Une fille grande et blonde, une métropolitaine. Des métropolitaines, on en voyait rarement dans le bar à Campora, ou même sous les arcades du boulevard. Le père Campora, la mère, la grand-mère, Maryse, Antoine, Kader, tous l’examinent avec une attention soutenue et un détachement affecté. Elle est là, plantée sur le trottoir, avec sa petite valise et attend un bon moment. Enfin, elle interroge : « Est-ce bien ici que commence le boulevard de l’amiral Pierre ? » C’est ici, c’est ainsi que commence le roman de Max Guedj, par cette rencontre entre une fille venue de France et cette famille installée depuis des années au bord de la Méditerranée, sur le littoral algérien. Dans ce bar qui sent l’anisette, le décor est planté, les personnages sont en place. Non, pourtant il en manque un : Guy, le fils Campora. La fille, il ne la verra que le soir, rentrant du salon de coiffure où il est employé. Et nous voilà pris, emportés par cette chaleur — ce soleil qui tape haut et clair, ces odeurs — les tramways, les arbres, le port, par cet amour qui porte le garçon vers la fille, par l’étonnement, la sagesse du père devant cet amour, par la douleur de la mère. Bientôt, nous vivons au rythme Campora. Nous suivons Guy que son amour fait homme. Nous flânons le long du port, sur les boulevards. Nous sommes là-bas. Et ce n’est pas le moindre talent de Max Guedj que d’avoir su, dans ce premier roman d’une psychologie raffinée, à la fois raconter une très belle histoire d’amour, peindre par petites touches sensibles une éblouissante fresque de ce monde d’Afrique du Nord, et faire vivre pour nous les Campora. Véritablement il a su : nous subissons avec un plaisir rare le charme de son récit.