Peut-être parce que leur corps a été formé au creux de chairs féminines, les écrivains issus de la tradition judéo-chrétienne ont souvent eu le plus grand mal à reconnaître que leur esprit a également subi l’influencedes femmes. Fantasmatiquement, la généalogie de la littérature occidentale ressemble pas mal à l’hilarante entrée en matière de l’Évangile selon saint Matthieu : une chaîne ininterrompue d’hommes engendrant des hommes.Normand Chaurette, au contraire, clame joyeusement depuis toujours sa dette envers les poétesses, autrices de théâtre et romancières, ses mères et grandes soeursen littérature. Voici son Tombeau pour Marie-Claire Blais. Rarement une déclaration de dette aura pris la forme d’un chant aussi puissant : il se déploie tel un opéra de Mozart, alternant gravité et allégresse, car Normand est musicien dans chaque cellule de son âme. Et lorsqu’en terminant cet hommage à l’été 2022, il avoue trouver que « c’est long d’attendre, d’attendre après la mort », et se demande : « En quel jour vais-je me joindre à mon tour à ceux que j’aime? », on pleure. On pleure et puis on ramasse la dette de reconnaissance, on remercie Normand Chaurette qui remercie Marie-Claire Blais, et on poursuit la ronde. Le Tombeau est une danse. Nancy Huston