« On peut se passer du bonheur. Il suffit d’être assez attentif à la vie, assez occupé à l’affronter ou à la fuir. Le héros du « Rendez-vous » s’y emploie avec talent. Il a très peur de mourir. Il est très amoureux. Cela fait deux raisons de continuer. Il s’intéresse à tout. Il ne croit à rien. La femme qu’il aime, dont il parle merveilleusement, ne veut aimer qu’un écrivain. Il écrit donc. Quelle meilleure raison ? Écriture amoureuse. Écriture de conquête. C’est un roman qui serait une lettre d’amour, une lettre d’amour qui ferait un roman. On soupçonne un livre autobiographique. Trop de fraîcheur pour être tout à fait inventé. Trop d’étrangeté pour n’être pas vrai. C’est à la fois cocasse et grave, émouvant et déroutant. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Celui-là, oui. Il n’est pas comme les autres ; c’est pourquoi il nous éclaire sur nous-mêmes. Le corps de cette femme, pour lui, vaut plus que tous les livres. Cela met la littérature à sa place, qui n’est pas la première. Et ce roman à la sienne, singulière et belle. On peut se passer du bonheur. On peut se passer de la littérature. Mais de l’amour, non. » André Comte-Sponville