« À l’ère du radar et de la bombe atomique, on peut se dire, si on choisit de le penser ainsi, que la civilisation industrielle est désormais en mesure de changer magnifiquement la pente des temps. En attendant, sous un ciel noirâtre, cette pente semble dévaler vers on ne sait quel gouffre. L’antique civilisation terrienne, aujourd’hui bousculée, n’était peut-être pas tellement réussie. Mais comment se passer d’elle ? L’accord avec la terre et les saisons, avec la Création, donnait à la créature humaine une rafraîchissante certitude. Cet accord, ce sera forcé de toujours le reprendre. Il ne s’agit pas d’un retour au passé, il s’agit d’un retour à la fraîcheur. Toucher terre ! Aujourd’hui, moins encore que jadis et naguère, on ne peut se passer des prés de la marguerite, des bois de la fougère, de la montagne d’où regarder d’autres montagnes, là-bas couleur du temps. Nature reste le maître mot de tous les arts, et de l’art de vivre. Celui qui dit déjà « surnaturel »... À l’heure des crises, lorsque le moteur chauffe et que la civilisation mécanique se détraque, peut-être convient-il de se retourner vers les sources et de comprendre qu’il ne faut jamais lâcher terre. » Henri Pourrat, Toucher terre, 1946.