Faire le tour de lui-même en 80 journées, tel était le projet de Gilles Pajot. La mort, déjà tellement à l’œuvre dans le livre, aura interrompu ce travail à 75. Les « Journées » ne sont pas un journal et l’anecdote a peu de place dans ces pages. Il s’agit d’un temps construit, réfléchi, repris. Moments d’être, plus que faits d’existence. À partir d’un événement souvent minime, d’une pensée en apparence incongrue, se met en marche un minutieux processus d’analyse, disséquant la comédie de vivre, les faux-semblants dont tout comportement « normal » s’accompagne. Un sentiment d’étrangeté imprègne ces pages, celui d’un être décalé, toujours prêt à se dissoudre, à disparaître, englouti en lui-même. L’écriture constitue l’antidote de cette noyade intime : « Pour tenir j’ai d’abord et avant tout besoin de mots. Là où je compose une phrase. Là commence à se recomposer mon corps » (33e journée). Textes souvent vertigineux que ces « Journées » écrites au bord de l’abîme par un écrivain au sommet de son art. Un livre fort, dur, juste, la voix d’un homme blessé, d’un écrivain comme il en est peu, dont l’œuvre saura trouver ses lecteurs. Christian Bulting